Chantier titanesque initié par Arnaud Petit et ses acolytes en 2012 et fini en 2022, sur le majestueux Pic de Bure, 600 mètres d'escalade pour des cotations soutenues avec de nombreuses longueurs autour du 7c 8a.
Incroyable d'avoir pu trouver autant de longueurs dures grimpables sur une même grande voie dans le massif.
Dans le Dévoluy, les petites prises dans le raide sont rarement sculptées dans la masse et les dévers sont souvent délités.
Poussé par la douceur de ce mois d’octobre, un peu sur un coup de tête, Marine ayant très envie de faire un bivouac en paroi, on décide d’y aller histoire de voir de quoi il en retourne.
Je suis vraiment très curieux de voir à quoi peut ressembler un 8a dans le rocher du pic de Bure.
Marine envisage de grimper les longueurs en 6c / 7a si elles sont pas trop foireuses et moi
j’espère enchaîner quelques 7c à vue et éventuellement caler les sections sur les longueurs les plus dures.
L’objectif sera vite revu à la baisse, sortir par le haut peu importe la manière, ce sera déjà très bien et c’était pas gagné.
Le rocher étant correct dans les longueurs dures du bas, il reste néanmoins parfois croustillant et assez licheneux salpêtreux, les traces de gomme ou de magnésie sont quasi inexistantes, du vrai à vue.
Pour la suite, le meilleur côtoie le pire, du beau compact et du très fracturé.
L’équipement est exigeant, beaucoup de passages obligatoires, globalement engagé, jamais vraiment expo, il y a quand même quelques passages où l’on ne voudrait pas tomber. On aurait aimé avoir des points plus rapprochés sur les zones de mauvais rocher où parfois on n a pas bien le choix que de tirer sur des prises incertaines.
Si l'on compare au caillou des Gillardes, la roche du pic de Bure est bien moins stratifiée, les silex sont quasi inexistants, mais du coup l’orientation des prises est plus variée et l’escalade y est beaucoup plus technique.
Malgré quelques pas marqués, les longueurs sont soutenues du début à la fin, peu de sections déroulantes, ça fatigue physiquement et psychologiquement.
Résumé par longueurs
L1 7c : Un premier point haut, on peut protéger le départ avec des petits friends, ensuite on alterne dièdre et pilier, une belle première longueur.
L2 7c+ : Magnifique dièdre où les pas pieds à plats s’enchaînent à bon rythme, pour finir par le franchissement d’un bombé
physique, un fois rétabli on se retrouve en position précaire, il faut rester lucide et garder le moral pour aller chercher le point suivant, j’ai craqué à ce niveau là. Reste ensuite un dernier
bombé physique à passer sur des réglettes vaguement marquées.
L3 8a : Démarrage physique, acrobatique au dessus du vide avant de retrouver des bonnes prises. Puis un pas retors d’épaule inversée pour attaquer une section malcommode en dièdre. Je casse une marche de pied sur ce premier pas, ça fonctionne toujours mais le pied est donc un peu à plat.
La longueur passe par une voie ancienne qui arrive de l’énorme dièdre de gauche, une œuvre du grand René? Je suis curieux de voir où est ce que ça finit, peut être
le grand dièdre qui borde à droite le pilier final du Buristan.
Du coup sur la section malcommode il y a des vieux pitons à compression qui permettent aisément d’artifer, à ce moment là je commence à renoncer à grimper toutes les sections en libre. La vielle voie d’artif s’échappe à droite, tandis que les spits filent droit. Un bon pas d’allonge obligatoire juste au dessus du point clôture la section malcommode. J’y comprends pas grand-chose, je cherche un peu des méthodes mais me résous rapidement à artifer pour garder des forces pour la suite. En m’étirant au max de la dégaine je parviens à glisser un alien jaune du bout des doigts dans la prise d’arrivée qui par miracle mord et me permet d’accéder aux prises suivantes.
S’ensuit encore un passage teigneux sur réglettes. La longueur finit à l’amorce de l’énorme rampe inclinée empruntée par la Desmaison classique.
L4 7c+: On quitte la rampe par une traversée à droite pour aller chercher du raide.
Changement de style, mur à petites prises blanches qui ne sont pas évidentes à trouver.
C’est joli, les pas s’enchaînent à bon rythme, je finis par buter sur un réta malcommode il me faudra de nombreuses chutes avant de trouver une méthode qui passe. Le doute s’installe...
L5 6c Jolie longueur, le deuxième point est un peu loin à aller chercher d’autant qu’on grimpe sur des écailles bien fines. Ce sera pareil dans pas mal d’autres longueurs, toujours un point de renvoi 1m au dessus du relais puis un deuxième loin où l’on a pas forcément beaucoup plus envie de tomber…
On débouche sur une nouvelle grande rampe inclinée sur laquelle on grimpe encore pendant une bonne vingtaine de mètres avant d’arriver au relais. Pour pas trop galérer au hissage il vaut mieux pré hisser le sac au début de la rampe.
Il y a bien 55m, et noter qu'il y a un deuxième relais encore 5 m au dessus peut être moins exposé au chutes de pierres de la longueur suivante.
L6 6c: Le rocher n’inspire pas confiance et les points ne sont pas tout proches. On grimpe doucement..
L7 6a+ Rocher ok, se méfier de la fin de longueur beaucoup de cailloux posés.
Arrivée au bivouac
On arrive tout deux bien fatigués au bivouac. J’ai au final au grimpé toutes les longueurs en tête sauf le 6a+, les 6c étant en rocher bien trop foireux pour Marine.
Entre l’escalade très raide et le hissage j’ai le corps endolori et les tendons enflammés.
Heureusement le bivouac est tout confort, un beau travail de terrassement a été fait pour aménager deux couchages plats pas très longs, pour les petits gabarits comme moi c’est nickel. Marine a pris l’option hamac qui fonctionne pas trop mal, un peu en appui sur le rocher tout de même.
Un spit puis un bloc enchâssé permettent d’installer une main courante. Il y a également 2 trous de 8 mm pour des Pulses si on veut rajouter d’autres ancrages pour plus de confort.
Le cadre est incroyable, ça valait le coup de venir rien que pour ça.
D’ici on a un point de vue privilégié sur les différents éboulements successifs des 30 dernières années et les mètres cubes de caillasse descendus, (voir les photos sur le site de Guy Abert) on se dit qu’ici rien n’est éternel!
On est heureux de jouir de ce pilier tant qu’il est encore là!
Le lendemain lever du jour magnifique sur les montagnes, hélas en ce mois d’octobre, le bivouac orienté plutôt Nord Est sera abrité des premiers rayons du soleil. Toute la journée on suivra le soleil sans jamais réussir à le rattraper sauf au sommet. Avec en plus un petit vent frais constant, on s’est quand même un peu caillé.
L8 6c+ C’est Marine qui s’y colle, une mise en jambe matinale un peu rude, c’est physique et l’aspect du rocher n’inspire pas confiance mais ça tient bien.
Après quelques hésitations elle réussit à sortir la longueur avec brio.
Arrivée sur une nouvelle rampe.
L9 7a Attaque du grand pilier jaune très raide qui file jusqu’au sommet.
Départ droit puis traversée à droite au dessus du vide, ambiance, rocher parfois bof et itinéraire pas toujours évident entre deux spits.
L 10 6b+ Rocher pas fou, des grosses prises sur lesquelles on tire doucement…
L11 7c Pour le départ quelques mètres en rocher très fracturé où l’on aimerait juste tirer sur les points mais faut quand même grimper pour aller chercher le deuxième point.
Ensuite le caillou devient plus compact, puis arrive le crux obligatoire de la voie (7c oblig dixit récits de répétiteurs). Effectivement c’est vraiment dur, ça a failli ne pas passer.
J’ai repéré le fameux microbidoigt caché, mais je suis incapable de faire quelque chose avec.
Après de nombreuses chutes, des tentatives d’artifage infructueuses, je finis par trouver une méthode sans ce bidoigt. Valorisation d’une inverse plate en remontant les pieds juste sous la main, j’envoie sur une pince licheneuse main droite en étant complètement en boite. Trois tentatives seront nécessaires pour que ça fonctionne.
Attention une fois passé le pas de bloc, ça grimpe encore! Il faut rester lucide pour arriver jusqu’au point suivant.
L12 8a Passage d’un bombé assez court, la mise en place et le bombé n’ont pas l’air facile. Trop fatigué je n’essaie plus du tout et je tire allègrement sur les dégaines pour économiser mon énergie afin d’être sûr de sortir la cordée. Heureusement c’est bien moins obligatoire.
S’ensuit une escalade plaisante, pas si facile mais moins raide sur du beau caillou.
L13 7a Jolie longueur, on reste sur du beau caillou à côté de la coulée de lichens oranges puis ça se gâte, les spits nous emmènent jouer à droite avec le fil du pilier qui s’avère être en rocher complètement délité pour repartir à gauche à la fin.
L14 6a+ Rocher bof, Marine a réussi à trouver quelques bons emplacement pour friends
L15 6c+ Rocher vraiment dégueu, sans intérêt, autant finir dans la Desmaison.
A noter un petit méandre part de R15 avec une fraîcheur qui s’en dégage, ça vaudrait coup de revenir voir en mode spéléo à l’occasion, en passant par le haut bien sûr.
Puis corde tendue jusqu’au sommet.
Coucher de soleil grandiose.
Descente par la combe Ratin (c’est long).
Pour résumer, une sacrée ligne, dans une face mythique à faire absolument si on a le niveau et quand même le goût des lignes aventureuses malgré la présence de spits.
Faut dire qu’il faut tout de même accepter parfois de se livrer corps et âme sur un rocher pas toujours très compact, ça risque de ne pas plaire à tout le monde, mais ça fait partie des charmes du Dévoluy.
Sûr que c’est pas la fréquentation qui va assainir la voie…
Malgré ça on s’est quand même régalés, on a adoré. Pas certain qu’on y retourne de sitôt mais qui sait...
Un grand merci et bravo aux ouvreurs, sacré chantier, bel exploit d’ouvrir du bas dans une telle paroi, il y a dû en avoir des émotions fortes!